à l'appel du collectif national de l'action culturelle et cinématographique (Blac)

lundi 14 janvier 2008

Action culturelle et éducation artistique
(intervention de Jean-Pierre Daniel le 11 janvier 2008 au Saint-André des arts)


Directeur de l’Alhambra, une salle municipale associative des quartiers Nord de Marseille, je suis actuellement président des Enfants de cinéma. J’interviens ici au nom de tous les acteurs de l’éducation artistique cinématographique et audiovisuelle en temps scolaire et hors temps scolaire qui se sont déclaré solidaires de l’appel qui nous réunit

Pourquoi s’alarme-t-on ?

L’éducation artistique et culturelle est une priorité qui a été souvent réaffirmée par le Président de la République pendant sa campagne électorale

Et puisqu’ il l’a dit , il le fait :
  • par les orientations fixées à ses ministres dans les premières lettres de cadrage,
  • par la « sanctuarisation » annoncée dès l’automne des crédits affectés directement à ce projet, malgrès les rigueur d’un budget contraint par la volonté de la réduction de la dette, et je témoigne, au nom de notre association Les enfants de cinéma de la réalité de cet engagement puisque nos financement d’Etat sont conformes aux engagements.
  • enfin, par la publication très récente de l’étude commandée à Mr Gross, Inspecteur Général.

Toujours, la priorité à accorder à cette action éducative, est réaffirmée.


La réalité est plus complexe.


Notre travail est totalement dépendant de celui de ceux et celles qui viennent de s’exprimer, et nous ressentons nous aussi les effets de cette politique de désengagement de l’Etat et de la dérégulation marchande.


Avons-nous eu tort de défendre, tout au long de ces deux dernières années, l’idée que les actions d’éducation artistique publiques cinématographiques, appuyées certes sur une industrie culturelle audiovisuelle puissante, ne pouvait pas être organisées selon les lois du marché capitaliste qui régissent cette industrie, comme : la rentabilité, les appels d’offre ou la libre concurrence ?

Nous avons affirmé et défendu pied à pied, qu’elles relevaient d’une autre logique, celle de la pédagogie et de la création artistique, celle de l’action culturelle.


La réussite des dispositifs d’éducation artistique cinématographique, dans le temps scolaire et hors temps scolaire, qui rassemblent aujourd’hui des millions de jeunes spectateurs, attise les convoitises. Le poids de la grande exploitation, pèse lourd, le CNC hésite, demande au médiateur de lui indiquer la conduite à tenir et multiplie les circulaires encadrant ce travail comme celles, au début de l’été, sur les projections en plein air de Passeurs d’images, qui concurrenceraient illégalement les salles.


Nous avons pu faire inscrire dans le cahier des charges du dispositif Ecole et cinéma, après des mois de négociations, que les projections des films choisis, ne pouvait être organisées que dans des salles qui avaient « un projet culturel avéré », il a quand même fallu accepter « ou qui s’engageait a en avoir un ! »

Le groupe CGR, qui voulait alors entrer de force dans le dispositif, à demandé au CNC, ce qu’il fallait faire pour remplir cette condition ! c’est quoi un projet culturel ?

Le film Français nous a même accusés « de priver certains cinémas de leur dispositif de soutien » !

Coordonner, organiser, accueillir, développer toute une médiation pédagogique à partir de la rencontre des œuvres, former les acteurs, éditer les documents d’accompagnement, développer une réflexion collective en réunissant des enseignants, des programmateurs, des artistes, des universitaires, est réduit, par les chantres du commerce du cinéma, à une simple aide économique à l’exploitation !

Et ils se mettent en colère et nous interpellent à la tribune de leur congrès !

Aujourd’hui c’est nous qui sommes en colère et qui interpellons l’Etat afin qu’il assume sa responsabilité.


S’est-on inquiété a tort, quand on a dénoncé en 2004, le démantèlement systématique du Plan Lang Tasca et l’annonce de la disparition de l’éducation artistique dans le projet de refondation des programmes de l’école autour d’un socle commun de connaissances ?

La mobilisation très large, essentiellement parmi les acteurs du théâtre de la danse et de la musique, il faut le reconnaître, qui s’est exprimée au théâtre du Rond-point le 15 décembre 2004 « pour la présence régulière des arts et des artistes à l’école » et qui a donné naissance au Forum Permanent de l’Education Artistique et à l’adoption et la publication d’un « Manifeste d’intérêt général pour une politique d’éducation artistique durable et concertée » à sans doutes contraint le Ministère de l’Education Nationale à introduire, « entre les lignes » l’éducation artistique dans les nouveaux programmes.


Je vous propose que nous nous remémorions les mots de ce manifeste, lu en Avignon en juillet 2005 dans la Maison Jean Vilar.

Je passe la parole à Robin Renucci qui, à lui seul, incarne tout ce que l’on cherche aujourd’hui à défendre et qui participe aux travaux du Forum.

Sa présence est aussi la preuve de la nécessaire liaison entre tous les arts.




Robin Renucci : Je suis heureux de retrouver nombre d’entre vous que j’ai croisés, sur tout le territoire, dans les salles pour certains ou dans le cadre de leurs associations, en allant proposer, tout au long de cette année, des rencontres avec mon film.

Je suis très soucieux du lien qu’il faut établir dans le travail de l’action culturelle, avec tous ceux qui interviennent dans le cadre du bénévolat et ne sont pas présents ici, qui sont aussi souvent ailleurs que dans le champ sectoriel du cinéma.

Il me semble essentiel aussi que nous conjuguions nos efforts avec l’action culturelle théâtrale, avec le corps des enseignants qui ont un travail si difficile à faire et qui, pour la plupart d’entre eux, vont partir à la retraite dans les prochains mois et qui ne seront pas remplacés, ou qui le seront par des jeunes gens qui n’auront pas connu l’éducation culturelle que nous avons pu connaître à l’école.

Ce lien, ce partenariat de plus en plus difficile à assurer entre les artistes et le champ éducatif, ces liens qui ont été extrêmement puissants dans l’éducation populaire mise en œuvre par le ministère de la Jeunesse et des sports, s’effritent jour après jours.

Il y a une obligation d’action aujourd’hui, là ou on se trouve, sur notre territoire. Il ne faut pas se lamenter, ne pas prier, mais agir autant que l’on peut, comme vous le faites évidemment, comme nous tentons de le faire les uns et les autres, en engendrant des actions les plus concrètes possible avec tous ces partenaires.




Donc le Forum, tu l’as dit, Jean-Pierre…
Je vais vous citer quelques lignes claires du Manifeste, sans être long …

(Les phrases en gras italique sont extraites du Manifeste)



Ce que nous dénonçons c’est :

La discontinuité de l’action de l’état au gré des alternances démocratiques ;

l’érosion des budgets, qui sont consacrés aux arts et à la culture dans leur dimension éducative ;

les écarts, en somme, entre les paroles et les actes.


On voit bien, chaque fois, que derrière les mots, nous ne reconnaissons pas les actes. Nous forgeons un dictionnaire commun à partir de nos actes. Nous sommes peut-être en train de faire une erreur, fondamentale, en créant des mots qui sont repris. Nous retrouvons nos termes, exactement les mêmes, dans les mêmes acceptions, totalement détournés par une pensée fondamentalement différente de la nôtre…

De même les évaluations. On a progressivement confondu, au ministère de la Culture, les évaluations de pratiques culturelles et les évaluations de pratiques artistiques. Ce n’est pas la même chose de pratiquer un art ou d'avoir une action créative, que de s’acheter un Ipod, un walkman, de regarder la télévision, ou même d’aller dans des salles de cinéma qui proposent des formes de cinéma loin de pratiques artistiques …

Donc, ces écarts entre les paroles et les actes, à dénoncer !






Face à une vision réductrice et normalisatrice de la réussite scolaire, nous voulons que l’éducation de nos enfants réconcilie et valorise toutes les formes d’intelligence.

Face aux assauts quotidiens de la marchandisation, nous voulons que nos enfants apprennent à distinguer une œuvre d’un produit.

C’est vrai que sur la même étagère, on a en même temps un film qui sort à 49 copies voir à 50 copies, voire à 10 où 15 copies, vous le savez avec le boulot d’action culturelle que vous faites derrière. Et Shrek et ses 900 copies ? comment rivaliser ?

Comme on l’évoquait tout à l’heure, il y a des produits et puis il y a des œuvres qui ne proposent pas la même émancipation, tout simplement. On ne cherche pas la même chose…





Dans une société du divertissement et de la médiatisation, nous voulons que nos enfants aient toujours le choix des arts et de la culture.

Dans une société fragmentée comme la nôtre, nous voulons que la diversité des esthétiques et des pratiques soit une chance et une arme contre les déterminismes.

Nous affirmons que le chantier de l’éducation artistique est réellement doit être une priorité nationale.

Mais de quelle éducation artistique parlons-nous ?

Celle que nous voulons implique :

* La fréquentation des œuvres

* La pratique d’un art


C’est pour cela qu’il ne faut pas se désolidariser du théâtre. c’est essentiel je vous assure. Il y a cet écart, je le vois, entre les théâtreux et la profession du cinéma qui est réunie aujourd’hui. C’est pourtant la même création, la même singularité, c’est la même recherche de l’inconnu. Le cinéma est rangé dans le monde du connu. Ses représentations du monde ne sont plus symboliques. C’est au théâtre aujourd’hui, comme dans un certain cinéma de création, que l’on retrouve cet enchantement du monde et cette volonté de créer du monde symbolique.

Le bras frappeur aujourd’hui, c’est le monde symbolique qu’il touche !




* La rencontre des artistes, des techniciens et d’artisans

C’est très important !





Nous affirmons que l’éducation artistique conjugue nécessairement un projet pédagogique, un projet artistique et un projet culturel dans un cadre éducatif partagé.

Sa mise en œuvre concerne tous les professionnels et les acteurs des métiers de l’éducation…

* La dynamique de projet

Il faut que tous les établissements scolaires aient une possibilité d’avoir un vrai projet pédagogique autour de la création, de l’écriture, du cinéma, de l’art dramatique.




* Les partenariats, dans le respect des singularités de chaque partenaire.

* Le croisement des expériences.

Je vous cite tout ce que nous voulons et ce que vous voulez aussi, je le pense…




Parce que l’éducation artistique n’est toujours pas accessible à tous, nous exigeons qu’elle soit au cœur d’un projet national d’éducation garanti par les politiques publiques…

…et les politiques territoriales.

Dans le transfert des compétences aux régions, c’est là que l’on va prendre un gros mur puisque : oui l’Etat se désengage ! mais comment allons nous, nous retourner auprès des collectivités territoriales ?

On pourrait être moins sensible en Ile de France à cette question qu'ailleurs, par exemple… Beaucoup d'entre vous, qui êtes situés dans différentes régions, savez à quels niveaux, variables d'un endroit à l'autre, vous aide votre Conseil général ou votre Conseil régional…




Nous voulons que soit garantie la place de l’artiste, dans les projets d’éducation artistique.

Il faut dénoncer à quel point elle est remise en question aujourd’hui, vous le savez !




Enfin, l’éducation artistique met en présence des artistes, des éducateurs, des enseignants ou des animateurs qui doivent tous bénéficier de formations communes pour optimiser leur partenariat.

Cette question de la formation, c’est celle de la poule et de l’œuf, le point de départ et c’est pourquoi le Forum pour l’éducation artistique s’est mobilisé de cette façon, grâce à vous, avec vous. Voilà, continuons.






Jean-Pierre Daniel
reprend la parole :


Alors, depuis, que s’est-il-passé ?

Une succession impressionnante de rapports :

  • le rapport de Marcel Bichat (Conseil économique et social) sur les enseignements artistiques à l'école (2004),
  • le rapport d'information de la députée Muriel Marland-Milittellola et son examen en commission (2005),
  • la mise en place il y a moins de deux ans du Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle et son rapport 2006,
  • enfin récemment le rapport sur les enseignements artistiques à l'école primaire (en mai 2007).

A peine en fonction, le nouveau gouvernement, choisit de commander un nouveau rapport à Monsieur Eric Gross Inspecteur général de l'Education nationale en court-circuitant le Haut Conseil de l’éducation artistique.

Ce n’est pas le lieu ni le temps de détailler ce nouveau texte, mais on peut déjà noter, après une première lecture, qu’il semble être une longue explication de texte de la lettre de mission du Président de la République aux deux ministres de la Culture et de l’Education Nationale qui contient déjà, et l’analyse, et les propositions du rapport de Monsieur Eric Gross…

Ainsi l’explication, très compliquée et peu convaincante, de la formule présidentielle, qualifiée par le rapport « d’originale », « son souhait d’une éducation artistique et culturelle pour tous»

Et, pour satisfaire Marie-Josée Mondzain que j’ai souvent entendue pester contre cette idée d’une éducation culturelle, je cite la définition proposée par Eric Gross :

« Il ne s’agit plus seulement pour la culture de simplement concourir à une éducation artistique donnée à l’école et par l’école. Il s’agit aussi d’une éducation à la culture donnée par la culture… »


Dans ce cadre grandiose, une belle ambition :

la généralisation de cette éducation à tous les écoliers, avec une solution enfin concrète et réaliste : définir un socle commun, sorte de minimum culturel et artistique : un enseignement obligatoire de l’histoire de l’art !, confié à tous les enseignants dans le cadre de leurs disciplines, auxquels, dans un avenir proche, viendront s’adjoindre les titulaires d’un nouveau CAPES et d’une agrégation «d’histoire de l’art en donnant à cette discipline un sens élargi à la musique, au théâtre et au cinéma ! »

Avant de refermer pour l’instant ce rapport, que nous devrons travailler très sérieusement, puisqu’il nous est dit qu’il sera la base de la future politique « d’éducation artistique et culturelle », je ne résiste pas au plaisir d’évoquer une autre proposition qui ne manque pas de sel !

« Faire revivre dans les établissements ce temps ou les ciné-clubs ont formé des générations qui comptent aujourd’hui dans la vitalité du cinéma français » !

Oui Monsieur Gross, ce travail exemplaire de l’éducation populaire que vous évoquez, qui prend toute sa force après la barbarie de la deuxième guerre mondiale, est bien le creuset de ce que nous appellons aujourd’hui l’action culturelle, et ce sont justement ceux qui s’en réclament qui sont aujourd’hui ici pour dire leur refus que tout cet héritage soit balayé par des mesures et un double discours purement et sordidement comptable et désocialisant.


Car l’essentiel est dans cette conception de l’éducation artistique, affirmée dans le manifeste d'intérêt général pour une éducation artistique durable et concertée, réfléchie, expérimentée et très largement mise en œuvre envers et contre tout, par des générations d’éducateurs et d’artistes en direction de tous les publics.

Pour nous, le lien profond entre éducation artistique et action culturelle, le cœur de sa pédagogie c’est la présence conjointe, a égalité, des éducateurs et des artistes, dans les projets de travail, c'est l’articulation des deux expériences.

C’est la création ensemble de situation pédagogique permettant, comme le disait Jean Ader dans un entretien à 0 de conduite la revue de l’UFFEJ – Union française du film pour l'enfance et la jeunesse – sur les rapports du cinéma et de l’éducation nouvelle « d’apprendre par l’expérience qu’existent des domaines ou l’agi, le senti ne se distinguent pas du réflexif et du connaître »

Sans l’action culturelle il n’y a pas de partenariat artistique possible.

Sans ce partenariat il n’y pas d’éducation artistique

Et la grande question pour nous gens d’images et de sons, gens de cinéma, professionnels de l’industrie audiovisuelle, c’est de construire ce partenariat pédagogique et artistique, de faire exister des lieux et des méthodes qui permettent des projets.

Car, tout ce qui se réalise dans ce sens se fait en contrebande de la logique marchande, de l’équilibre économique de nos outils, dans la marge.


Nous avons, pour poursuivre notre volonté de transmissions dans ce contexte, développé des trésors d’imagination, créé des associations, des centres, des festivals, des petits et des grands, des Pôles, des milliers d’ateliers, des rencontres, des voyages, des classes transplantées, des lieux alternatifs les plus utopiques. Nous avons dû convaincre toutes les administrations, avec quantité de paroles, de dossiers, de rencontres.

Nous avons proposé des dispositifs nationaux aux pouvoirs publics et assumé leur invention, leur coordination, leur gestion, leur mise en œuvre.

Nous avons saisi toutes les perches des emplois aidés, engagé une génération de jeunes éducateurs et artistes dans ces actions.

Ainsi, nous avons pu créer les supports, les viviers, les lieux ressources de toutes notre création pédagogique, les cadres matériels des intervenants artistiques.

Nous disons aussi avec force que nous avons vécu ainsi, chacun d’entre nous ici, des moments magiques où notre volonté de transmission croisait intensément notre engagement artistique.

Nous savons pourquoi ces actions sont indispensables à l’être ensemble de la société toute entière.

Nous pouvons rassembler des milliers de témoignages de cette interaction.

Seule la volonté militante de ces milliers d’acteurs, seul le soutien de leurs actions par l’intervention publique de l’Etat et des collectivités locales rendent possible cette exception culturelle française.

Nous avons une conscience aigue du cadre précaire de notre travail.

Alors que nous attirons, à chaque instant, l’attention des élus, des fonctionnaires et du public, sur cette précarité, pour dire que nous appelons de nos vœux, depuis longtemps, une grande politique de relance de cette action…

…nous devons aujourd’hui, nous battre pour dénoncer la volonté d’un gouvernement et de toute l’industrie qu’il sert, de réduire, de marginaliser cette action, de laisser libres le seul face-à-face marchand, des produits et des consommateurs d’images et de sons, en détruisant les quelques radeaux de la pédagogie artistique, en leur coupant les vivres et en limitant les initiatives des collectivités locales en leur faveur.

Nous sommes ensemble pour affirmer que nous ne laisserons pas faire.



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